Un de mes
lecteurs, Daniel PA, avait continué le texte précédent "Tuer le
temps" dans les commentaires. A la manière d'un cadavre exquis, je
reprends donc sa suite.
…C’est à ce
moment que je l’aperçus. Ou plutôt que je saisis l’éclat de son regard entourée
de chevelure noire sagement attachée en une natte qui pendant sur son épaule.
Lisa, la petite voisine me regardait toute étonnée de voir cette grande bringue
qu’elle connaissait bien ainsi avachie sur un paillasson.
Cherchant à
reprendre une contenance je posais une question stupide « Qu’est-ce que tu fais
là ». Petit sac crocodile sur l’épaule, grandes bottes de pluie Mickey aux
pieds, Lisa rentrait manifestement de l’école. « Ben je vais aller goûter et
faire mes devoirs. Maman a trouvé un nouveau travail donc elle ne peut plus
venir me chercher. Et toi tu fais quoi ?».
« Viens, je t’accompagne dis-je un
peu brusquement pour masquer mon trouble »…
« Ouais,
trop bien » chuchota Lisa comme si elle se parlait à elle-même. Elle ôta
la ficelle autour de son cou, saisit la clé dans sa main potelée et ouvrit la
porte.
Moquette
moelleuse, fauteuils immaculés, meubles laqués blancs : tout respirait
l’ordre et l’asepsie immaculée d’un appartement qui ne vivait pas. J’avais
l’impression de me retrouver dans mon cerveau.
« Tu as
faim ? ». Machinalement, je retrouvais les gestes qu’avait ma
grand-mère à mon égard : ouvrir le frigidaire, sortir le beurre, le pain,
faire chauffer le lait. « C’est pas du tout ce que je mange d’habitude
mais c’est super bon » marmonna Lisa en tirant sur sa tartine.
Je savais donc
faire. A 45 ans, j’étais toujours célibataire et sans enfants. Ca n’était pas
un drame d’ailleurs : ma mère s’y était faite, quant à mes ovaires, ils
n’avaient jamais répondu à l’appel soi disant irrépressible de la maternité.
Pour ne pas
faire tache, j’ai appris à faire diversion en société : quand mes
collègues dissertaient pendant des heures des marques de couches ou des
solutions pour lutter contre la constipation infantile, je parlais de mes
neveux pour donner le change. Je suis bien élevée. C’est toujours gênant une
nullipare dans une conversation de mères. Et puis, les neveux c’est pratique,
ça me permet d’éviter les sempiternelles questions sur les vacances ou le
boulot. Les parents n’ont pas beaucoup d’imagination pour trouver des sujets de
conversation.
Pendant que
Lisa dévorait goulument ses tartines beurrées, je décidai de jeter un coup
d’œil à ses devoirs. Alors que j’ouvrai son cartable, les odeurs de plastique
neuf mêlées aux effluves de craies et de crayons en bois me sautèrent au
visage. Les yeux fermés, j’humai de toutes mes forces ces senteurs évocatrices
de l’enfance quand je sentis une présence autour de moi. En ouvrant les yeux,
je découvris avec stupeur une enfant que je connaissais bien. D’un air
bravache, elle plantait son regard inquisiteur dans le mien.
Les pieds en
dedans, dans sa blouse usée, la petite fille que j’étais à l’âge de 6 ans me
narguait de ses 120 cms, drôle de statue du commandeur en culotte courte .
D’une voix blanche, elle m’apostropha : « Te souviens-tu de tes rêves
d’enfants, de tes espoirs et tes joies ? De ton cœur qui tressaillait, de
la joie qui inondait tous tes membres, de ton corps qui vibrait à
l’unisson ? Qu’as-tu fait de tout ça? Remisées au placard toutes ces
émotions qui te rendaient vivante ? Arrives-tu à t’accommoder sans ciller de
tous ces compromis avec tes idéaux ? Le bilan d’une vie, ce n’est pas
qu’une affaire comptable, une histoire de compte de résultats et de chiffres.
C’est se demander « l’enfant que j’étais aurait-il été fier de ma vie
d’aujourd’hui. Réveille toi ».
« Hé Ho
Solange, réveille toi. Tu m’entends ? On les fait mes
devoirs ? »
« Oui
bien sûr Lisa. J’étais ailleurs, pardon. On en était où ? »
"J'ai une poésie à apprendre" me dit-elle. "Fais moi voir" demandais-je. Prévert arriva comme une évidence. J'aurais du m'en douter... Qu'apprenaient les enfants avant ? "Je n'ai que le début à savoir mais je vais te la lire en entier" proposa-t-elle toute contente d'allonger ce moment de partage.
RépondreSupprimerEt Lisa commença sa lecture... "Pour faire le portrait d'un oiseau..." au fur et à mesure que la cage se dessinait mon esprit s'envolait.
Soudain mon regard s'arrêta sur une photo. Pas de celles que l'on l'on emprisonne dans de sages petits cadres. Pas de celles que l'on transforme en stèles en l'honneur d'un passé idéalisé. Non, une photo simple, brute, posée à la va-vite contre un tas de bouquins comme pour se rappeler un moment de simple bonheur. Un instant je crus que c'était moi, avant. Cécile, la mère de Lisa y souriait heureuse assise à une terrasse de café.
Alors que je la croisais depuis des années sur le palier de ma mère, je n'avais jamais remarqué qu'elle me ressemblait autant. Même cheveux noirs, même allure sportive et, sur cette photo, même coiffure avec un bandeau retenant les cheveux en arrière. L'air heureux et le sourire complice avec le photographe faisait la différence
J'avais l'étrange sentiment que tout dans, cet appartement, me renvoyait ma propre image, il n'y a que les miroirs qui me montraient celle d'une femme triste, vieillie que je ne reconnaissais pas.
"...Et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau". Lisa terminait sa lecture je la félicitais chaudement. La fillette rougit de fierté. "Tu reviendras demain ?" me demanda-t-elle ? "je te le promets" lui dis-je en déposant une bise sur ses cheveux.
C'est en reprenant mon sac sur la table que l'idée me vient comme un flash. Absurde et évidente. D'un geste rapide je fis glisser dedans une des vieilles factures d'électricité qui traînaient sur la table. Lisa ne s'aperçut de rien, et moi j'avais mon idée.
J'allais devenir cette femme, cette Cécile, qui arborait fièrement travail, fillette ...et bonheur. [...]
Merci pour cette jolie suite Daniel! J'essaye de poursuivre demain!
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